« Parler aux gens, des maux des gens, avec les mots des gens ».
Ce qui est enseigné dans les écoles de journalisme a été appliqué à la perfection par Jacline Mouraud lorsqu’elle a pris l’initiative de lancer son fameux appel de 4,38 minutes : « Qu’est-ce que vous faites du pognon ? », très vite vu par plus de six millions d’utilisateurs des réseaux sociaux !
Ce jour-là, face à son ordinateur, dans la plus totale solitude, Jacline Mouraud faisait preuve tout à la fois d’une parfaite compréhension des souffrances de millions d’hommes et de femmes et d’un sens évident de la responsabilité en appelant à la mobilisation et non à la révolution. Sa condamnation claire et nette de toute violence explique la façon dont elle sera très vite écartée par les leaders autoproclamés du mouvement des Gilets jaunes, pour certains complaisants envers les « casseurs ».
Il n’empêche que la graine semée par cette femme venue de nulle part a fait germer en terre de France une moisson de revendications et d’espérances dont l’ampleur ne peut plus être ignorée. Et pour longtemps.
Quand Jacline Mouraud m’a sollicité pour écrire cette postface en raison de mon attachement au général de Gaulle et de mes écrits récents sur le personnage, j’ai immédiatement vu plusieurs raisons d’accepter. Bien sûr, il serait totalement absurde de comparer l’homme du 18 juin 1940 et la femme du 18 octobre 2018 ! L’époque si différente, les circonstances historiquement très éloignées et les personnages eux-mêmes en écartent toute tentation.
Il y a pourtant chez Jacline Mouraud une façon de rejeter le débat partisan stérile, une volonté de servir les intérêts supérieurs du pays, une exigence de protéger la nation, un appel à mieux prendre en compte les aspirations profondes du peuple et à le consulter plus régulièrement qui ne sont pas sans rappeler les enseignements fondamentaux du gaullisme.
Il faut y ajouter, et ce n’était pas rien dans la politique du Général, le rétablissement de plus de justice sociale et d’équité territoriale afin de redonner aux Français qui travaillent, souvent de façon précaire et sans aucune chance de sortir de leur condition, des raisons d’espérer, pour eux et leurs enfants.
La domination d’une logique financière mondialisée dénoncée par l’égérie des Gilets jaunes était déjà condamnée par de Gaulle pour qui, face au rouleau-compresseur de l’économie « c’est l’homme qu’il s’agit de sauver » !
Jacline Mouraud est authentiquement gaulliste quand elle plaide pour un libéralisme qui fasse toute sa place à la dignité de l’homme, quelle que soit sa condition sociale. De même, quand elle appelle à une réforme fiscale profonde qui vise les plus grosses fortunes (« plus on a de bien, plus on est aliéné » dit-elle), elle parle comme le fondateur de la Vème République qui soutenait : « les possédants sont possédés par ce qu’ils possèdent ».
Quand de Gaulle confiait à André Malraux : « Mon adversaire, celui de la France, n’a aucunement cessé d’être l’argent », il ne faisait que rappeler ce qu’il avait déclaré avant de revenir au pouvoir en 1958 : « La classe des nantis, à commencer par les très riches, n’est attachée qu’à ses intérêts et farouchement hostiles à l’émancipation des classes laborieuses. »
Le coup de gueule de Jacline Mouraud ne visait pas à plonger la France dans la violence et le désordre. « La réforme oui, la chienlit non » avait dit de Gaulle en 1968 avant de donner du pouvoir d’achat aux plus faibles et de consulter le peuple dans les urnes après dissolution de l’Assemblée nationale. En octobre 2018, il s’agissait pour elle d’interpeller Emmanuel Macron, vu comme « le président des riches », pour lui demander d’écouter le peuple de France dans sa diversité.
Puisé ou non aux sources du gaullisme, le cri de Jacline Mouraud aura mis l’accent sur ce que de Gaulle appelait « le malaise des âmes ». La France pourra-t-elle rester la France sans y apporter une réponse ?
Gérard Bardy
Ecrivain, historien du Général De Gaulle